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04/04/2008

La Ville, son archange de misère, l'espérance (Un cauchemar, 3)

Jack Delano, View in a departure yard at twilight, Chicago, 1942.

Rappel.
La Ville..., 1.
La Ville..., 2.

Mais l'espérance tue n'est pas l'absence. D'ailleurs la parole de l'Origine, selon Vico, est silencieuse. Elle est le chant non proféré de la joie qu'en Éden Adam chantait naïvement, c'est-à-dire comme chante un enfant qui ne se soucie de rien d'autre que de son chant, car seul l'important préoccupe l'enfant, le chant donc, ce qui n'a aucune importance, mais à quoi il se consacre sérieusement, avec le sérieux exagéré des enfants, sans y penser, comme on marche : c'est que, dès qu'il y pense, aussitôt se lève la gêne de la conscience, qui est couac, fausse note ridiculisant par exemple le chant forcé de Mouchette, dont le chant véritable est cette marche qu'elle accomplit dans la boue et l'orage, sans y penser, seulement guidée par le terriblement tentant haleur de la Nature, avant que sa petite voix ne chante plus que pour les animaux visqueux du marais, aux anges de pareille concert donné pour leurs ténèbres. «Il y avait une grande procession», affirme le poète-enfant, Charles Péguy, qui marcha hardiment, peut-être en chantant, en tout cas l'espérance au fusil, avant qu'une balle reçue en plein front ne lui fasse oublier qu'il pensait aux hommes, et surtout à ceux qu'il allait devoir tuer : «C'était la procession de la Fête-Dieu. On portait le Saint-Sacrement. Aussi en tête les trois Théologales marchaient. Voyez, dit Dieu, cette petite, comme elle marche. Regardez-moi voir un peu. Les autres, les deux autres marchent comme des grandes personnes, ses deux grandes sœurs. Elles s'avancent comme des grandes personnes.»

Qui sont toujours un peu fatiguées.

Mais elle...
Mais elle, la ville, c'est l'enfer des modernes, le lieu d'où l'espérance justement est proscrite, bannie à bon droit, maraudant sur ses confins comme une lueur de cimetière, les nuits de chaleur, rôde sur les marches de la vie, hésitante et secrète, vacillante et capricieuse, mise elle aussi au ban de la vie, cherchant dans le noir quelques souvenirs de la vie déchue, dépossédée de la vie et ne possédant plus que le sceptre illimité de la mort, le royaume de poussière de la mort, que la littérature se préoccupe de chanter et chante en effet en glorifiant son roi, le roi sordide des mouches, n'en finissant pas de la chanter, n'en finissant pas de le chanter en préférant au dialogue qu'elle instaure et commande, à la prière de l'espérance, le soliloque de la mort, tandis que les villes, qui elles ne chantent pas et jamais ne se taisent, se contentent de murmurer inlassablement, de ruminer les paroles de cendre du dégoût, de triturer le dégoût et l'ennui de leurs millions d'habitants, comme une fosse avale puis régurgite avec aisance son purin : la ville qui rumine et murmure comme un vieillard insatiable qui, à l'instant du trépas, n'a plus le temps d'écouter, de prêter l'oreille à la petite musique de l'espérance, qui chante et continue pourtant de chanter pour lui seul, pour son oreille uniquement, pour son âme qui n'écoute pas, la ville ne fait que mâcher et remâcher la morne litanie dont elle-même s'alimente, à bout de vieillesse et de lassitude hagarde, en un perpétuel retour. Mais elle n'est jamais fatiguée. Voyez voir un peu. Comme elle marche. Mais elle... Mais elle... Mais... L'ennui qui reste comme un nuage lourd de chaleur a vite fait d'étouffer les mots de la douce complainte, qui elle continue d'avancer, attirée par quelque bouche fraîche d'enfant, allant bondissant comme une fraîche mouquère insoucieuse et espiègle.

Lien permanent | Tags : littérature, giambattista vico, charles péguy | |  Imprimer