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03/04/2008

La Ville, son archange de misère, l'espérance (Un cauchemar, 2)

Crédits photographiques : Jack Delano.

Rappel.
La Ville..., 1.

Ce n'est qu'une fois chassé qu'Adam s'avise de prononcer le mot, au moment de l'ouverture de la chasse, puisque ce n'est qu'une fois chassé qu'il faut commencer à patiemment guetter et attendre (l'espagnol emploie le verbe esperar en lui donnant ce sens), car l'attente qui ouvre l'histoire et l'espérance qui veut la fermer, attendant sa clôture définitive ou cette mort prétendue dont notre époque fait semblant de se délecter, alors qu'elle crève plutôt de n'avoir plus d'horizon, marchent ensemble à partir de cet épisode premier. Plus même, l'attente et l'espérance sont une même chose, et celui qui n'attend plus, celui pour qui le temps n'est plus qu'une petite boule compacte qui ne roule pas vers le lendemain mais qu'il serre en grinçant des dents dans sa main huileuse, celui-là s'ennuie ferme, tourne en rond : dans le fond, c'est que l'enfer enferme, les pauvres damnés tournant dans la noria infernale, leurs yeux fixés sur le moyeu privatif, trou de pure noirceur, la haute stature de l'Ange du Désespoir, pardon, l'idole banale, insipides messieurs Teste et Ouine. Oui mon Dieu, que sommes-nous, demande Baudelaire, «sans le don tout divin de l'espérance, et comment pourrions-nous traverser ce hideux désert de l'ennui» ? Rien d'autre que des hommes sans histoire, sans lumière et sans rire, rien d'autre que des épaves encalminées dans les rades rouillées.
Ainsi, parce qu'elle prononce la phrase fatidique de la perpétuelle remise à plus tard, spero fore ut, (dans un français rauque, j'espère qu'il arrivera que), comme un phénix qui déchirerait le cœur souffreteux du corbeau d'Edgar Allan Poe, l'espérance est la mère de tous les millénarismes, cette hérésie aux mille visages jamais déracinée par le feu de l'Inquisition, et comme telle, elle est celle du plus meurtrier d'entre eux, ce messianisme laïcisé qu'est le communisme, dévorant les entrailles de sa mère comme Milton raconte que Satan fut dévoré par son ingrate progéniture. Pourtant, le phénix qui renaît de ses cendres, s'il semble réellement plus rare que le vulgaire corbeau au pelage noir, gage son mystère sur le chèque en bois de la tromperie : jamais aperçu, sourd aux plus étranges mélodies sifflées par les appeaux des poètes, il arrive que des hommes, afin d'attiser la convoitise de l'animal fabuleux, en désespoir de cause décident de lui offrir un peu de sang, cette ultime valeur refuge, sur laquelle de nouvelles économies règlent leurs sautes d'humeur, sang qui d'après Joseph de Maistre constituait l'édifice invisible et immémorial de la douleur implorant le Dieu muet. Alors l'innocence des pauvres coule à flots dans les égouts de l'Utopie, bien moins insubmersible que l'Atlantide nouvelle de Bacon, et le soleil, comme il est écrit dans les mauvais romans, se teinte de rouge, lui qu'on exigeait de voir se lever sur la misère immémoriale des pauvres, afin que son éclat dissipe les vapeurs sales, lui qu'on sommait de rallumer le vieux cœur endormi dans les profondeurs de la cité. Voilà ce qui arrive lorsque l'homme se mêle, depuis la guérite du mauvais démiurge dont il usurpe la folie, la main droite en visière sur les premières marches d'une Atlantide bâtie sur les charniers, la gauche ne sachant pas ce que fait la droite, et de toute façon fort occupée à ajuster le canon sur la tempe du terroriste, voilà sans doute, me dira le pessimiste ou bien le communiste revenu de ses illusions (c'est-à-dire, le communiste à visage humain, le communiste désespéré, banale et stupide victime du consumérisme), ce qui se passe lorsque l'homme essaie de réconforter l'homme.
Des loups, non. Des chiens, non. Pire que des chiens, voilà ce que effectivement les hommes sont pour les hommes.