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28/03/2006

Les bases du terrorisme islamiste, par Alexandre Del Valle

Crédits photographiques : Nashanuddin Khan (Associated Press).

Alexandre Del Valle, géopolitologue, collabore à différentes revues et journaux (Le Figaro, Spectacle du Monde, France Soir, Politique Internationale, Outre Terre, Ring, etc.). Il est également l’auteur d'essais géopolitiques publiés par les éditions des Syrtes tels que Le Totalitarisme islamiste à l’assaut des démoctraties (2002), La Turquie dans l’Europe, un cheval de Troie islamiste ? (Les Syrtes) et Le Dilemme turc ou les vraies raisons de la candidature d’Ankara (avec Emmanuel Razavi, 2005).
Le texte que nous donnons à lire, déjà publié par Le Figaro le 24 septembre 2001, a été entièrement revu par l'auteur, que je remercie.

Les affaires de «caricatures» de ces derniers mois, tout comme les délires verbaux de l’Iranien Ahmadinejad appelant à la destruction d’Israël, sans oublier la montée des Frères Musulmans dans le monde entier (Maroc, Algérie, Autorité Palestinienne, Égypte, etc.) et la poursuite du Jihad salafiste en Irak et aux quatre coins du globe ont un point commun, un fils conducteur essentiel : l’islamisme radical est le nouveau totalitarisme du XXIe siècle, il n’est encore qu’à ses débuts et il est porté partout, indépendamment de ses multiples tendances et divisions, par un but de guerre commun, un «programme commun minimum» : l’islamisation de la planète. De sorte que nous avons affaire à quelque chose de comparable au nazisme à la différence près que le Lebensraum des islamistes n’a aucune limite territoriale…
Certes, depuis le 11 septembre 2001, observateurs et analystes n’ont jamais autant parlé de «l’islamisme» et même de l’Islam. Jamais autant de publications sur ces thèmes n’ont été produites en Occident. Omniprésents sur les plateaux télé et les flash infos, les différents commentateurs ou «experts» autorisés ou autoproclamés croient de mieux en mieux identifier le nouvel ennemi que d’aucuns nomment «le nihilisme» ou «la terreur globale», nous assurant qu’il convient à tout prix d’éviter l’amalgame islam = terrorisme islamiste, voire que l’Islam n’a rien à voir là-dedans. Plus étonnant encore, les réguliers attentats islamistes sont à chaque fois autant d’occasions, sous prétexte de dénoncer l’amalgame, de vanter les qualités intrinsèques du Coran, «texte de paix» et de l’Islam, «religion d’amour», réceptacle inversé et rédempteur de toute la mauvaise conscience occidentale judéo-chrétienne. Essayons d’y voir un peu plus clair.

Du caractère unique du totalitarisme islamiste

À la différence du fondamentalisme protestant et de l’intégrisme catholique, l’islamisme (el-islamiyya) est caractérisé par sa triple dimension, théocratique, conquérante et violente, ce qui en fait plus une idéologie de type totalitaire qu’un simple intégrisme religieux. Ni le judaïsme, rebelle à tout prosélytisme, ni le christianisme, dont les textes sacrés réprouvent toute violence et sont à l’origine de l’idée spécifiquement occidentale de laïcité, n’ont produit l’équivalent de l’islamisme. Certes l’Islam n’est pas l’islamisme, et les Musulmans en sont les premières victimes. Mais les origines profondes du fascisme islamiste résident dans les fondements mêmes de l’orthodoxie islamique, enseignée dans les grandes Universités musulmanes du monde entier et demeuré immuable depuis le XIe siècle, le Coran et les Hadiths («dits et faits de Mahomet»), sources de la Charià, proclamant explicitement la guerre sainte. Car le Jihad constitue l’un des moyens d’expansion naturels de l’Islam, Mahomet ayant lui-même participé à près de quatre-vingt combats et prélevé les butins de guerre sur les Infidèles. Dans le Coran, le combat armé est appelé le «Sentier d’Allah» et les Moujahidines tombés sont comparés à des «martyrs de la Foi» (IX, 52; LVIII, 19). Le Coran regorge de sourates appelant à la guerre contre les Juifs et les Chrétiens insoumis ou les Polythéistes : «Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu, au jour dernier, qui ne considèrent pas comme illicite ce que Dieu et son prophète ont déclaré illicite, ainsi que ceux qui, parmi les gens des Écritures (ahl al-kitab) ne pratiquent pas la religion de la vérité, jusqu’à ce qu’ils paient, humiliés, et de leurs propres mains, le tribut» (9, 29); «Le combat vous est prescrit et cependant vous l’avez en aversion...» (2, 216); «...Lorsque tu portes un coup, ce n’est pas toi qui le portes, mais Dieu qui éprouve ainsi les Croyants par une belle épreuve...» (8, 17); «Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de luttes doctrinales et qu’il n’y ait pas d’autre religion que celle de Dieu. S’ils cessent Dieu le verra» (8, 39); «Lorsque les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles partout où vous les trouverez. Faites-les prisonniers ! Assiégez-les ! Placez-leur des embuscades ! ...» (9, 5); «Ô Croyants ! Combattez les infidèles qui sont près de vous. Qu’ils trouvent en vous de la rudesse !...». (9, 123); ou encore : «Lors donc que vous rencontrerez ceux qui mécroient, alors frappez aux cols. Puis quand vous avez dominé, alors serrez le garrot» (47, 4). Ainsi, les grands penseurs musulmans orthodoxes et commentateurs des Hadiths : El-Bokhari, El-Ghazali (1058-1111), Nawawi, Ibn Taimiyya, Malik, ont théorisé «la guerre sainte (ou «effort») sur le sentier d’Allah» (jihad fi sabill’illah) et ont réglementé les modalités d’extermination des «Infidèles» : «La loi défend de tuer, dans la guerre contre les Infidèles : des mineurs, des aliénés, des femmes et des hermaphrodites […] mais on peut tuer légalement : les moines [non reclus], des mercenaires que les Infidèles ont pris dans leur service, des vieillards, et des personnes faibles, etc. (1), écrit Nawawi. L’assassinat de sept moines cisterciens de la Trappe de Tibhirine le 21 mai 1996 par un commando du GIA repose donc sur un fondement juridico-théologique légal…

De l’absence de réforme de l’Islam au fondement «légal» du terrorisme islamiste

D’après le Grand Mufti de Marseille Souheib Bencheikh, théologien adepte d’un Islam «républicain», «les hommes du GIA [...] agissent de manière très canonique, c’est pourquoi on les voit aussi bien en train de prier que de violer […], la femme fait partie du butin de guerre dans cette même logique canonique [...]. Je dénonce l’hypocrisie des théologiens musulmans qui, certes, dénoncent ces pratiques et tueries, mais ne mettent pas en cause la théologie qui les sous-tend», ose affirmer Bencheikh. «Ils doivent saisir l’occasion pour désacraliser le droit musulman, notamment sur certains points qui offrent un prétexte à ces barbares qui habillent leurs actions criminelles par une certaine canonisation» (2). C’est en effet parce que le Jihad est chargé d’une considérable légitimité islamique que tous les Islamistes contemporains (Mawdoudi, El-Banna, Qotb, Kichk, Farag, Oussama Bin Laden, etc.) en ont fait leur leitmotiv central.
Nier cette réalité permettra-t-elle d’éviter de nouveaux World Trade Center ? Rien n’est moins sûr, car les causes profondes de l’échec du réformisme musulman, et donc de la résurgence islamiste, sont à rechercher dans le caractère indiscutable des textes sacrés musulmans et dans le refus, typiquement islamique, de toute innovation (bidaà) théologique. Des tentatives de réformes ont certes existé durant la vague réformiste (salafiyyah) qui agita le monde musulman à la fin du XXe siècle. Les hérauts de ce courant, Jamal ed-din-El-Afghani et Mohammad Abdoù, voulaient adapter le droit musulman aux exigences modernes. Al Afghani demanda ainsi la dissolution des quatre écoles juridiques sunnites (shafiisme, hanafisme, malikisme et hanbalisme), déplorant la sclérose de l’Islam et la «fermeture des portes de l’Idjtihad» (ou interprétation des textes sacrés), cause de la décadence du monde islamique et de l’humiliation coloniale. Mais, dès le départ, la Salafiyyah décida d’écarter du champ des réformes les questions théologiques. Les réformateurs laïcisants furent d’autant plus rapidement concurrencés par les ancêtres des Islamistes modernes que ces derniers se recommandent également de la Salafiyya, l’Islam des «pieux ancêtres» (salaf). Salafistes laïques et anti-laïques ne reprochaient pas la même chose au conservatisme religieux, et l’utilisation d’une même rhétorique permit aux Islamistes de récupérer le mouvement «réformiste» à leur profit. Aujourd’hui, d’ailleurs, les fanatiques sanguinaires du Gama'a al-Islamiya égyptien, du GIA algérien ou encore du groupe d’Oussama Bin Laden se réclament du salafisme sunnite !… Ce point nous permet de battre en brèche le lieu commun selon lequel les Chiites (10 % des Musulmans) seraient les Islamistes terroristes par excellence (les «fous d’Allah» iraniens ou libanais du Hezbollah), et les Sunnites (85 %) les «modérés». Rappelons qu’à la différence du sunnisme, bien plus figé que le chiisme, ce dernier n’a jamais accepté la «fermeture des portes de l’Idjtihad», pas plus que le principe du taqlid (conformisme théologique et juridique), la capacité de réinterprétation propre au chiisme expliquant l’origine chiite de la plupart des hétérodoxies de l’islam, condamnées par les Sunnites : ismaïlisme, druzisme, alaouisme, babisme, bahaïsme, etc. La guerre larvée qui oppose aujourd’hui l’Iran aux Talibans illustre également cette réalité.
Les réformateurs musulmans furent par ailleurs toujours accusés de faire leurs les idéologies laïques «étrangères» importées par le colonisateur occidental, l’idée même d’une séparation de la religion (din) de la société (dunya) et de l’État (dawla) étant dénuée de sens dans l’islam classique, et a fortiori pour les Islamistes, qui se réfèrent à la pensée du hanbalite Ibn Taimiyya, référence commune aux Wahhabites saoudiens et aux Salafistes afghans ou frères musulmans. C’est ainsi que les tendances réformistes et laïcisantes de l’Islam, discréditées ab origine et frappées d’allogénéité, seront progressivement marginalisées. Soutenue par les pétrodollars du Golfe, la vague de réislamisation radicale sera en outre portée par une explosion démographique sans précédent, elle même liée à l’obscurantisme et facteur de paupérisation, terrain d’action privilégié des Islamistes.
Ainsi, l’un des tous premiers mouvements islamistes, l’Association des Frères-musulmans (El-Ikhwàn El-Muslimûn), fondé en Égypte en 1928 par Hassan El-Banna, disciple de Rachid Rida, pourtant héritier de Jamal Eddine, Abdoù et Rachid Rida, est né en réaction aux régimes musulmans de l’époque qui, sous l’influence de l’Occident, avaient tendance à se séculariser. Toujours fort puissante en Égypte et dans le monde islamique (Koweït, Turquie, Tunisie, etc.), l’organisation poursuit son but : instaurer des États islamiques partout dans le monde, tantôt via la violence, tantôt au moyen de la compétition électorale. Ce même objectif sera poursuivi par l’équivalent pakistanais des Frères : la Jama’at-i-islami, fondée en 1941 par A.A. Mawdoudi, lequel prône l’instauration d’un État islamique séparé appliquant la Charià, seule solution permettant d’échapper au «pouvoir infidèle» (houkoum al jahili) des Hindouistes. Cette démarche «séparatiste» sera à l’origine de la création de l’État du Pakistan en 1947. Le principe de «refus du pouvoir infidèle» explique par ailleurs la plupart des conflits qui opposent Musulmans et «Impies» au Cachemire, au Soudan, en Arménie, en Tchétchénie ou même au Kosovo et en Macédoine, où les populations musulmanes sont devenues majoritaires, le Coran précisant : «N’appelez point à la paix alors que vous avez la supériorité» (XLVII, 35).

L’Europe : terre d’asile ou terre de Jihad pour les Islamistes ?

En Europe et en territoire non-musulman en général, l’impératif islamique de fuir ou combattre le «pouvoir infidèle» s’exprime de manière différente, «l’orthodoxie» islamique proposant une doctrine géopolitique divisant le monde en différentes zones ennemies : la «demeure de l’Islam» (dar-el-islam) – l’ensemble des pays où domine l’islam – et la «demeure de la guerre» – (dar-el-harb), le monde infidèle. Dans le dar-el-islam, les non-Musulmans sont «tolérés», moyennant le paiement d’un tribut et la soumission à la Charià, s’ils sont adeptes d’une religion abrahamique, juifs ou chrétiens. Quant au dar-el-harb, il constitue un espace géopolitique et religieux foncièrement hostile, avec lequel seules des relations de guerre peuvent exister. Toutefois, le Coran prévoit une exception : la «demeure de l’Islam» peut contracter une trêve avec la «demeure de la guerre» si cette «trêve», due au principe de nécessité (darura), permet aux Musulmans, contraints de résider dans le dar-el-harb, d’y prêcher leur doctrine sans exiger en contrepartie le même droit de prédication non-musulmane en terre d’Islam. Mieux : les Islamistes peuvent s’exprimer plus librement en terre occidentale que dans leurs pays d’origine ! Cette situation intermédiaire est nommée «terre de la conciliation» (dar-el-sulh ou dar-el-ahd) ou «terre de la prédication» (dar-el-dawaà), en référence à l’impératif de prosélytisme. C’est ainsi qu’en Europe, les Islamistes et les garants de l’islam «orthodoxe», notamment le très médiatique Tariq Ramadan, actuellement leader incontesté de la mouvance des «frères» en Europe (représentée par l’UOIF en France) et petit-fils de Hassan al-Banna, confirment le caractère licite de la présence musulmane en Europe au titre du dar-el-dawaà. De ce point de vue, l’Occident semble avoir d’ores et déjà intériorisé le principe de supériorité de l’Islam – phénomène que l’islamologue anglo-égyptienne Bat Yé’Or nomme la «dhimmitude» – en acceptant l’accord de dupes en vertu duquel le prosélytisme d’États islamistes comme l’Arabie saoudite, à l’origine en 1994, de la mosquée de Rome, plus grande d’Europe), est officiellement consacré par les États occidentaux sans qu’une seule chapelle ne puisse être ouverte en contrepartie en Arabie... C’est que dans l’Islam classique, les relations pacifiques avec les territoires non-musulmans sont conditionnées par le respect de ce principe d’unilatéralité. Ceci explique pourquoi la Grande-Bretagne ou la Suède, qui accordent une liberté quasi totale aux Islamistes, ont jusqu'à lors été épargnés par les attentats terroristes, à la différence de la France laïque – coupable d’avoir «persécuté» les filles voilées, ou même de l’Amérique, qui a rompu le contrat du dar-el-ahd en occupant le territoire interdit (haram) aux Infidèles d’Arabie, qui abrite les lieux saints de l’Islam. Certains rétorquent que l’Arabie saoudite est un allié de l’Amérique et que les GI’s l’ont occupé après avoir secouru le Koweït et la Saoudie contre Saddam. C’est oublier que l’Islam doit toujours dominer et que l’allié infidèle doit se soumettre à ce principe, le Coran précisant : «Vous formez la meilleure communauté suscitée parmi les hommes; vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable» (III, 110).
Encore une fois, la geste de Mahomet – qui remercia les Juifs de Médine – qui l’avaient accueilli après son exil de La Mecque païenne, en les passant au fil de l’épée – et l’invocation d’une scolastique musulmane jamais remise en questions, constituent, tant que l’islam n’aura pas connu de «Vatican II», les sources de légitimation premières de la violence islamistes. Magistrale et terrible leçon pour une Amérique qui persiste à soutenir l’Arabie saoudite fondamentaliste et esclavagiste après avoir soutenu Bin Laden et les Talibans contre le Bloc communiste slavo-orthodoxe (la guerre du Kosovo ayant marqué l’apogée de la stratégie de la «ceinture verte»), mais aussi pour l’Occident dans son ensemble, qui continue d’accueillir les pires fanatiques islamistes au nom de la «liberté d’expression» et du «droit d’asile», les attentats du 11 septembre derniers montrent que la leçon de l’ayatollah Khomeiny, qui remercia ses protecteurs français et américains avec les prises d’otages et les attentats de Dakar, n’a pas encore été retenue…

Notes
(1) Nawawi, Minhadj, III, pp. 261-264.
(2) Souheib Bencheikh, Le Matin (journal algérien indépendant), 11 janvier 1998.