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09/12/2005

De l'École et de ce qui fonde la valeur de la culture et du savoir, par Laurent Lafforgue

Francisco de Goya, Asta su abuelo, extrait des Caprichos, 1799


C'est avec grand plaisir que je reproduis ci-dessous, avec son autorisation, le texte de Laurent Lafforgue disponible sur son propre site, au format PDF, ici. Les lecteurs intéressés par la question de l'enseignement scolaire à la française et de sa faillite non moins estampillée du sceau de notre génie national, ne seront sans doute que peu surpris d'apprendre que Laurent Lafforgue, éminent mathématicien récompensé en 2002 par la Médaille Fields et promu Chevalier de la Légion d'honneur en 2003, a récemment démissionné du HCE (ou Haut Conseil de l'Éductaion) pour les raisons qu'il explique longuement ici. Enfin, je me permets de signaler cet excellent site, Sauver les lettres, où d'innombrables exemples du crétinisme idéologique qui paralyse encore la majeure partie du corps professoral français sont exposés.

Voici le texte de Laurent Lafforgue.

Je remercie le comité éditorial de la Gazette des Mathématiciens qui m'a invité à exprimer dans ses colonnes les raisons que j'ai eues de corédiger le texte Les savoirs fondamentaux au service de l'avenir scientifique et technique, conjointement avec Demailly, Balian, Bismut, Connes, Serre et Lelong.
Puisque j'y suis invité, je vais le faire d'une façon strictement personnelle, qui n'engage que moi, et en prenant le risque d'en surprendre plus d'un, voire de scandaliser.

Un constat et une analyse que je partage avec beaucoup

J'ai choisi de me joindre à d'autres pour tenter de réhabiliter et de faire revivre l'École républicaine laïque telle qu'elle avait été mise en place par la IIIe République dans les années 1880 et avait perduré jusqu'aux années 1960 suivant les mêmes principes : la valeur de la connaissance rationnelle, du savoir et de l'étude, la valeur de la grande culture léguée par les siècles, la valeur incommensurable du langage et de son expression privilégiée qu'est la littérature, la confiance qu'il existe des vérités objectives et universelles que l'homme a pour vocation de chercher inlassablement, la confiance en la liberté de l'homme qui peut se déployer indépendamment de tous les déterminismes historiques et sociaux dès lors que l'instruction confère les moyens de la liberté intellectuelle.
Aujourd'hui, cette École n'existe presque plus, ou plutôt, il lui a été substitué en quelques décennies une chose très différente. Pour s'en convaincre, il suffit à chacun d'interroger les élèves qu'il connaît sur ce qu'ils apprennent ou n'apprennent pas et sur la culture qu'ils acquièrent ou n'acquièrent pas, ou de jauger par exemple dans quel état d'impréparation intellectuelle toujours croissante les étudiants arrivent chaque année à l'université. On peut lire aussi quelques-uns des très nombreux livres de témoignage d'instituteurs (notes 1 et 2) ou de professeurs du secondaire (notes 3 à 7) qui sont parus ces dernières années. Ces témoignages sont proprement hallucinants, et ils le sont d'autant plus que, par-delà l'évolution générale de notre société qui accorde toujours moins de valeur au savoir, à l'étude et à la culture en tant que tels, ils mettent directement en cause l'Éducation Nationale qui, à travers ses différentes instances de pouvoir, semble avoir elle-même mené une politique de destruction de l'École et des principes qui la fondaient. Dans cette destruction, un rôle particulièrement important a été joué par les prétendues «sciences de l'éducation» (notes 13 et 2 pour leur effet sur les IUFM où elles règnent en maîtres), par la sociologie quand elle a élaboré contre l'École un discours soi-disant social qui la dépossédait de sa légitimité démocratique, et plus généralement par une forme dévoyée des sciences humaines et sociales qui tourne le dos aux humanités classiques fondées sur le primat de la liberté de l'homme et de l'irréductible singularité de toute histoire humaine individuelle ou collective, et cherche à copier le modèle des sciences de la nature, comme si l'homme était un objet inerte soumis à des lois physiques ou, tout au plus, un rat de laboratoire.
Plus profondément encore, si les anciens principes de l'École ont été reniés, c'est qu'ils ont été mis en accusation, jugés et condamnés.
La notion de vérité a été rendue responsable de tous les fanatismes et condamnée à être remplacée par le relativisme, délégitimant en profondeur toute forme d'instruction et de recherche intellectuelle. Dans la foulée, tous les savoirs, littéraires, scientifiques et mathématiques, ont été suspectés de n'être rien de plus que des constructions, très marquées historiquement et sociologiquement et certainement pas universelles; si par exemple l'enseignement des mathématiques dans les collèges et lycées est devenu formaliste et a perdu sa substance, c'est que beaucoup n'y ont effectivement plus rien vu qu'un formalisme vide de sens.
La notion de liberté et son corollaire, la responsabilité, ont été suspectées de masquer la réalité des déterminismes sociaux; depuis trente ans, le discours social sur l'École consiste à dire que les enfants des privilégiés s'en sortiront toujours et les enfants des milieux défavorisés jamais, donc qu'il n'est pas besoin de rien faire pour les bons élèves, forcément des privilégiés, et qu'il faut tout passer aux mauvais élèves, forcément des victimes vis-à-vis de qui l'École restera toujours coupable.
La notion de grande culture a été considérée comme un moyen pervers de domination de certaines classes sociales, aristocratiques ou bourgeoises, sur les autres, ou de certains peuples sur les autres, en particulier à travers le colonialisme (alors même qu'en France plus encore que dans les autres pays européens, les écrivains ont toujours été très critiques de la société de leur temps, de ses prestiges et de ses relations de pouvoir – critiques de la société aristocratique avant 1789, critiques de la société moderne habitée par le mythe du progrès après 1789 (cf. note 17) et critiques du colonialisme dès le XVIe siècle avec Montaigne); l'École s'est mise à enseigner que tout se vaut, les programmes de français demandent désormais d'appliquer les mêmes grilles d'analyse formelle aux textes littéraires, aux articles de journaux et aux messages publicitaires considérés comme de même nature (cf. note 8), ils bannissent l'admiration et invitent à démystifier les œuvres en mettant à nu les rouages par lesquels les auteurs sont censés manipuler leurs lecteurs.
La culture française et européenne a été particulièrement clouée au pilori comme coresponsable des grands crimes de l'Europe (pour s'en tenir aux derniers en date, les deux guerres mondiales, les totalitarismes et la Shoah) et l'École participe pleinement au refus de la France et de l'Europe de la continuer; les français et européens de notre temps se trouvent bons et moraux et ils veulent ne plus rien avoir en commun avec leurs ancêtres qui ne l'étaient pas; ils ne voient plus l'admirable fécondité intellectuelle et culturelle dont leur civilisation fut capable pendant des siècles, elle n'a plus de valeur à leurs yeux, en tout cas elle ne suffit pas à épargner à la culture européenne une condamnation à mort pour immoralisme et une exécution par rejet du passé (alors même que les totalitarismes contre lesquels on prétend réagir se définirent eux aussi par une rupture radicale avec la culture européenne dans toutes ses dimensions, et que la Shoah fut l'extermination par des brutes ayant rejeté toute forme d'humanisme du peuple de la terre le plus adonné à l'étude, à la culture et au savoir).
Enfin, le langage lui-même a été mis en accusation (voir le remarquable et passionnant essai (signalé en note 16); si, depuis plus de trente ans, l'enseignement du français a été ruiné plus que tous les autres, ce n'est pas l'effet d'une simple accumulation de circonstances malheureuses, c'est que la langue est devenue suspecte.

On aura compris que je n'accepte aucun des actes d'accusation dressés contre la culture, que je crois qu'il existe des vérités objectives et universelles sans lesquelles d'ailleurs cela n'aurait aucun sens d'être mathématicien, que je crois que l'homme est irréductiblement libre et appelé à une liberté toujours plus grande qui se déploie d'une façon particulièrement heureuse quand il cherche la vérité, que je crois en le pouvoir non pas aliénant mais profondément libérateur du langage. Bref, je crois en tous les principes de l'humanisme classique.
Parmi les phénomènes liés au reniement par l'École de ces principes, le plus désolant pour moi est la rapide extinction littéraire de la France à laquelle nous assistons. Pendant des siècles, la France a été la nation littéraire par excellence et a exercé une sorte de royauté de l'esprit à tel point que toutes les élites de l'Europe et parfois au-delà apprenaient sa langue. Ce rayonnement n'était pas la conséquence d'une domination politique ou économique : la France était puissante mais ne fut la plus puissante que quelques années sous Napoléon. La raison pour laquelle le français était la langue des élites, y compris chez les puissances rivales de la France, était son extraordinaire fécondité littéraire et culturelle. La fortune littéraire et culturelle de la France s'est affirmée dès le Moyen-Âge, a survécu à la guerre de Cent Ans et aux guerres de Religion, a trouvé son plein épanouissement sous l'Ancien Régime malgré tous les travers de celui-ci, et a continué magnifiquement dans la France post-révolutionnaire jusqu'aux années 1960. Puis, en quelques décennies, elle paraît s'être effondrée dans la médiocrité. Si la place du français dans le monde s'amenuise de plus en plus, c'est tout simplement que les auteurs français n'écrivent plus de grands livres capables de passionner le monde, de le bouleverser et de l'enrichir. Encore sous la IIIe République, l'École avait été capable de susciter de très grands écrivains même issus de familles misérables et illettrées et orphelins de père comme Charles Péguy ou Albert Camus (cf. l'admirable évocation par Camus de son instituteur (14)); l'École d'aujourd'hui n'est apparemment plus capable de faire émerger de tels écrivains dans aucun milieu. Le constat le moins effarant n'est pas celui de la totale inconscience et indifférence de nos compatriotes devant la nouvelle stérilité littéraire, culturelle et intellectuelle de la France : c'est tout juste si beaucoup ne considèrent pas le déclin du français dans le monde comme un progrès démocratique, et pour ce qui est du seul champ intellectuel où la France est encore brillante – les mathématiques – il n'est pas jusqu'à un ministre de l'Éducation Nationale qui n'ait considéré ce dernier foyer de grande vitalité comme un problème.

Donc je défends ardemment l'École républicaine laïque telle qu'elle fut mise en place par la IIIe République.

L'essentiel pour moi, et un paradoxe

Les personnes qui me connaissent savent que cet engagement ne va pas sans paradoxe de ma part puisque, bien au-dessus de mon état de mathématicien, de mon intérêt passionné pour la littérature ou de mon amour pour la France et sa langue, je place ma foi dans le Christ et ma fidélité confiante à l'Église catholique dont j'ai reçu cette foi, lesquelles me rendent souvent très critique de la France républicaine et laïque et plus encore de la société sécularisée contemporaine dans laquelle je me sens étranger.
Et pourtant, oui, je défends l'École républicaine...

L'École de tous

Je la défends par sentiment de profonde gratitude personnelle et familiale : alors qu'aucun de mes grands-parents n'était allé au-delà du certificat d'études, elle a permis à mes parents de poursuivre des études longues et de découvrir les lettres classiques, la littérature, la philosophie, les sciences, les mathématiques, puis à moi ainsi qu'à mes frères de faire des études brillantes et de consacrer notre vie à la recherche intellectuelle ou à l'enseignement.
Je la défends à cause de son équité et de sa neutralité, de la façon dont, quand elle a été mise en place, elle n'a rien renié de l'héritage de la culture française et européenne, y compris ce qui pouvait paraître le plus éloigné de l'esprit républicain, et a fait étudier Pascal ou Bossuet, plus tard Dostoïevski et Péguy, autant que Voltaire, Rousseau et Diderot.
Je la défends parce qu'elle a fait profondément confiance à l'intelligence et à la liberté de chacun, qu'elle n'a pas craint de donner aux élèves qui passaient entre ses mains des armes intellectuelles redoutables, en prenant le risque que plus tard ces élèves ne retournent ces armes contre elle – ce qui n'a pas manqué d'arriver (mais rassurons-nous : l'École d'aujourd'hui ne prend plus de tels risques) – et que cette École prétendument bourgeoise a produit des générations d'esprits libres, certains fidèles et d'autres rebelles.
Je la défends parce qu'elle créait un monde commun, celui de la raison, de la connaissance rationnelle, de la pensée réfléchie et du débat argumenté dans lequel moi pour qui la raison est un don de Dieu puis me retrouver et m'accorder de façon très profonde avec des personnes qui interprètent la raison autrement mais la respectent autant que moi, des personnes de toutes sensibilités, traditions et convictions, non seulement de France mais du monde entier. Tant qu'elle restait centrée sur les savoirs, l'École était l'institution républicaine par excellence et, en même temps, celle à laquelle je pouvais adhérer entièrement et avec moi tant de personnes de tous les horizons.
Je la défends parce qu'elle orientait vers l'amour et la recherche de la vérité, ouvrait à la beauté et éveillait à la liberté, avant tout par l'apprentissage approfondi de la langue.

Mes observations et convictions personnelles à propos du fond du problème

Cet attachement que l'École républicaine laïque et ses anciens principes ont su m'inspirer comme à tant d'autres est d'autant plus remarquable que je nourris contre la France laïque, sécularisée et détachée de ses racines spirituelles chrétiennes et bibliques un soupçon majeur qui est celui d'être incapable de fécondité sur le long terme, en particulier sur le plan intellectuel et culturel; elle me donne l'image d'un rameau magnifique mais détaché de son arbre, dans lequel la sève ne vient plus et qui lentement se dessèche. Je suis très frappé de constater que depuis la fin du XVIIIe siècle, la France paraît connaître un déclin lent et inexorable, déclin démographique relatif très prononcé dès le XIXe siècle, déclin économique, politique et militaire (Tant mieux, diront certains – non sans de très bonnes raisons – mais qu'ils songent aussi combien de malheurs auraient été épargnés au monde si la France avait gagné la bataille de 1940 !), déclin intellectuel et culturel qui s'amorça bien après mais devient spectaculaire depuis quelques décennies. Ce déclin surprend d'autant plus que la Révolution fut admirable à bien des égards et qu'elle instaura en France un nouvel ordre politique et social objectivement très supérieur à l'ancien; cela me donne à penser que la Révolution a fait tout bien sauf une chose qu'elle a manquée, la plus essentielle malheureusement, qui était de préserver la relation à Dieu, source de toute fécondité.
Je suis très frappé de la différence de destin et de créativité, différence qui ne cesse de s'accentuer, entre la France où, pour des raisons historiques très compréhensibles, on a voulu construire la liberté contre l'Église catholique et contre le christianisme, et l'autre république née à la fin du XVIIIe siècle, les États-Unis, où la liberté s'est construite en s'appuyant sur le christianisme (cf. Tocqueville et note 18 pour une relecture actuelle). Les français se consolent de cette différence de fortune et de fécondité en se persuadant qu'ils sont plus intelligents que les américains et moralement supérieurs, mais alors ils devraient s'étonner de ce que les américains, peuple réputé ignorant mais religieux, traitent cent fois mieux que nous autres français intelligents leurs universités, aussi bien en termes de moyens que d'autonomie reconnue au champ du savoir, en dépit de dirigeants dont l'action est parfois particulièrement stupide et arrogante.
Je soupçonne que ce n'est pas un hasard si l'université, vieille institution médiévale née de l'Église il y a bien des siècles, reste le lieu par excellence de la transmission et de la formation du savoir alors que nos grandes écoles héritées des Lumières n'engagent que rarement leurs étudiants dans la voie du savoir cultivé pour lui-même. Je suis profondément attaché à l'École de la IIIe République mais je sais qu'elle ne fut pas créée à partir de rien mais calquée très largement sur les écoles chrétiennes, de même que le lycée napoléonien fut institué sur le modèle des collèges des Jésuites, et je vois qu'un siècle à peine après leur laïcisation, ces institutions qui avaient voulu honorer les savoirs en dehors de l'Église ne les honorent presque plus. Je constate que l'effondrement littéraire, culturel et intellectuel de la France commença dans les mêmes années 1960 où la masse de sa société civile tourna le dos à tant de siècles d'imprégnation chrétienne.
Je ne peux pas ne pas remarquer qu'aujourd'hui plus que jamais le peuple juif, peuple de la Loi et des Prophètes, peuple de Dieu, fait preuve d'une créativité intellectuelle et culturelle dont aucun autre peuple n'approche, même de très loin.

Un grand défi qui est posé à mon avis

Je sais qu'en écrivant ces lignes je provoque nombre de personnes, et effectivement j'écris dans un but de provocation. Pour moi, une question brûlante est posée aujourd'hui à notre société française et européenne sécularisée : es-tu capable de fécondité ? Es-tu capable de refonder par toi-même la valeur du savoir et de l'étude, et de continuer la culture européenne ? Si oui, prouve-le non par des déclarations de principes et d'intentions mais par des faits ! Si tu peux être féconde, donne du fruit ! Par exemple, reconstruis une École de la culture et du savoir, et redonne à la langue française une grande littérature qui enrichisse le monde ! Refais de la France une nation qui donne beaucoup, dans toutes les sciences et tous les domaines de la connaissance !

Si je dois reprendre mes billes et aller jouer ailleurs

Si cela s'avère impossible, je reporterai pour ma part tout mon espoir sur l'Église, y compris pour refonder la valeur du savoir et de l'étude et faire revivre la culture française et européenne dans toutes ses dimensions, non comme un objet de musée mais comme une tradition vivante.
Il est paradoxal que j'écrive cela, étant donnée la longue histoire des relations conflictuelles entre l'Église et les artisans du développement de la connaissance rationnelle en Europe depuis la Renaissance. Pourtant, il ne faut pas oublier à mon avis que si les sciences et l'ensemble des connaissances se sont développées en Europe en s'émancipant de la tutelle des Églises, elles l'ont fait sur un terreau chrétien qui avait posé l'exigence de vérité comme un impératif absolu pour l'homme. Comme a écrit Renan, s'il convient de glorifier l'islam pour Averroès, il convient de la même façon de glorifier le christianisme pour Galilée.
Je reconnais d'autre part que les chrétiens n'ont pas toujours fait que des bonnes choses en matière d'éducation, loin s'en faut. Dans les temps actuels, on doit absolument citer le livre magistral de Jean-Claude Milner (10), publié en 1984, qui identifiait les milieux «chrétiens progressistes» comme une des trois grandes forces à l'œuvre dans la destruction de l'École républicaine. Je crains qu'il n'eût raison. J'ajouterai seulement pour information qu'avant de s'intéresser à l'Éducation Nationale et d'y substituer les méthodes pédagogiques aux contenus, ces milieux avaient fait leurs premières armes dans les Catéchismes et les Aumôneries, et qu'ils ont largement ruiné la transmission de la foi juste avant de ruiner celle de la culture. Non que leur progressisme fût mauvais par nature, mais parce que, à mon avis, ils ont fini par y croire plus qu'en Dieu.
Quoi qu'il en soit, je suis persuadé que la revalorisation de la culture et du savoir et la revivification de la culture européenne peut venir de l'Église; une Église passée par le feu de la repentance et qui y repassera autant que nécessaire mais qui, contrairement à la société européenne, n'a pas renié tout ce que son héritage comporte de bon et de précieux et n'a pas sombré dans la haine de soi; une Église dépourvue de tout pouvoir temporel et qui n'a d'autre force que celle de la parole; une Église réconciliée avec la raison et qui l'exalte comme chemin de vérité et de sagesse (cf. note 19); une Église qui sait que le sentiment et l'expérience ne suffisent pas et que la foi doit être pensée; une Église réconciliée avec la liberté, don irrévocable et appel de Dieu à chaque personne humaine, mais qui, plus que jamais, ne se prive pas de dire ce qu'elle estime devoir dire; une Église qui reconnaît l'autonomie de chacun dans sa recherche de la vérité conçue comme une vocation humaine fondamentale, mais qui, plus que jamais, proclame qu'il existe une vérité; une Église pleinement réconciliée avec le peuple juif et le judaïsme et qui pourrait, selon moi, se mettre à son école pour redécouvrir dans l'étude une forme privilégiée de louange et de relation à Dieu (et dans l'esprit critique un sens de la transcendance de la vérité qui se laisse indéfiniment approfondir mais jamais saisir complètement ni épuiser).
Pour jouer son rôle de levain dans la pâte, l'Église n'a pas besoin d'être très nombreuse : il lui suffit de petites communautés très fortes, libres de tout désir de plaire et de se conformer au monde ambiant, et enracinées dans la foi, sur laquelle tout peut être reconstruit. Concrètement, je rêve par exemple qu'en France certains établissements confessionnels pourraient choisir de quitter le régime des «établissements privés sous contrat» et de recouvrer une liberté pleine et entière (en espérant que les gardiens de la tolérance le tolèrent... pas comme en 1902-1905 où les Congrégations furent interdites d'enseignement et le jeune Charles de Gaulle, par exemple, contraint de poursuivre en Belgique son éducation par les Jésuites) qui permettrait de refonder un enseignement religieux (lecture approfondie de la Bible en hébreu et en grec, étude de toute la tradition depuis les Pères de l'Église, étude de la tradition juive) et profane (humanités classiques, littérature, philosophie, mathématiques, physique, sciences) sans commune mesure avec celui d'aujourd'hui.

D'accord avec ceux qui veulent sauver et redresser l'École républicaine

En attendant, je m'occupe de plaider la cause de l'École républicaine avec la même ardeur, dans les mêmes termes et en demandant les mêmes mesures que beaucoup d'autres personnes dont la plupart sont des laïcs purs et durs, car, sur ce sujet du rétablissement d'une École républicaine digne de ce beau nom, je suis totalement d'accord avec eux.


Bibliographie

Témoignages d'instituteurs et de professeurs :

1) Marc Le Bris : Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter (Stock, 2004).
2) Rachel Boutonnet : Journal d'une institutrice clandestine (Ramsay, 2003).
3) Fanny Capel : Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école ? (Ramsay, 2004).
4) Collectif Sauver les lettres : Des professeurs accusent (Textuel, 2001).
5) Élisabeth Altschull : L'école des ego : contre les gourous du pédagogiquement correct (Albin Michel, 2002).
6) Claire Laux et Isabel Weiss : Ignare Academy : les naufrages de l'enseignement (Éditions du NiL, 2002).
7) Évelyne Tschirhart : L'école à la dérive : ce qui se passe vraiment au collège (Éditions de Paris, 2004).

Réflexions et analyses de professeurs ou d'universitaires :

8) Agnès Joste : Contre-expertise d'une trahison : la réforme du français au lycée (Éditions des Mille et Une Nuits, 2002).
9) Denis Kambouchner : Une école contre l'autre (PUF, 2000).
10) Jean-Claude Milner : De l'école (Éditions du Seuil, 1984, malheureusement épuisé).
11) Jean-Claude Michéa : L'enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes (Éditions Climats, 1999).
12) Liliane Lurçat : Vers une école totalitaire ? (Éditions François-Xavier de Guibert, 2001).
13) Liliane Lurçat : La destruction de l'enseignement élémentaire et ses penseurs (Éditions François-Xavier de Guibert, 2004).

Autres :

14) Albert Camus : Le premier homme (Gallimard, 1994).
15) Hannah Arendt : La crise de la culture (Gallimard, 1972).
16) Hélène Merlin-Kajman : La langue est-elle fasciste ? (Le Seuil, 2003).
17) Antoine Compagnon : Les antimodernes (Gallimard, 2005).
18) Agnès Antoine : L'impensé de la démocratie : Tocqueville, la citoyenneté et la religion (Fayard, 2003).
19) Jean-Paul II : Encyclique La Foi et la Raison (Éditions du Cerf, 1998).

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