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23/07/2006

Marcel Bozonnet en vacances sur la plage de Scheveningen

Crédits photographiques : Bruno Domingos (Reuters)

Rappel : l'article de Jean-Gérard Lapacherie, l'adresse électronique de Patrick Barriot afin de soutenir Peter Handke, ici.

Patrick Barriot, L'Affaire Peter Handke, L'Âge d'hommeLisant l'ouvrage consacré à l'affaire Handke (1) que Patrick Barriot a eu l'excellente idée de faire paraître le plus rapidement possible (publié par L'Âge d'homme dans la collection Objections, ce livre regroupe l'ensemble des pièces, pour le moins de valeur inégale, dudit dossier), j'ai été très étonné de trouver, dans l'un des textes de cet écrivain conspué par les nains vertueux du Nouvel Obs, le nom de Scheveningen (cf. p. 128 de l'ouvrage), ville où a été emprisonné Milošević, dans un centre de détention appartenant aux Nations unies. Ce nom bien sûr ne m'était pas inconnu relativement aux derniers jours de celui que l'on a traité des noms les plus infâmes mais j'avais oublié ce détail toponymique qui sera désormais versé à l'histoire de notre siècle de fer à propos de la tragédie serbe (je ne commets pas là un lapsus; j'ai bien écrit et répète : tragédie serbe et, pour éviter toute argutie grammaticale que l'on pourrait me soumettre, j'ajoute : tragédie vécue par les Serbes). Ce nom, aussi, Scheveningen, m'est depuis longtemps devenu cher puisque Paul Gadenne l'a choisi pour illustrer le titre d'un de ses plus admirables romans, où peut se lire, comme en un miroir sombre, la geste tragique, celle-là même qui hante Guy Dupré en chacun de ses extraordinaires livres, d'une France luttant à mort contre une autre France : dans le roman de Gadenne, Hersent, le traître à la patrie, qui sera fusillé pour avoir collaboré avec l'occupant allemand, ne sera pourtant pas éxécuté à Scheveningen comme dit-on, y serait mort de mort naturelle Milošević. Néanmoins, ce rivage du monde, plus poétique que réel, où s'est fait puis défait l'amour entre deux des personnages du roman, apparaît comme un de ces hauts-lieux magnifiés par le génie des écrivains. Scheveningen, lieu imaginaire (et pourtant bien réel) où l'acte vrai d'écriture peut tenter d'apporter la paix, conjurer les puissances torves de la trahison et de la dénonciation, celles-là mêmes dans lesquelles pataugent nos vertueux petits baigneurs, tenter de faire triompher le doux vent de l'Esprit, qui est calme, plutôt sérénité, pardon refondant le pacte liant tout homme à son frère, pardon et non point oubli apportant quelque paix à l'instauration, fragile entre toutes, de cette bouleversante solidarité des ébranlés que sondait Jan Patočka dans l'un de ses textes les plus bouleversants et mystérieux.
Milošević mort à Scheveningen, Hersent finalement condamné à mort, Guillaume, l'unique défenseur du traître, lui-même ancien ami de celui qui fut son fulgurant compagnon en classe d'hypokhâgne, Guillaume en butte à l'hostilité sournoise de ses anciens collègues qui lui reprochent de dangereusement se laisser entraîner dans la zone grise de l'intelligence avec l'ennemi, Peter Handke lynché par les nains de la bien-pensance parisienne, femelles éructantes que l'on aimerait faire taire d'une calotte retentissante, par tous les petits eunuques à la fesse molle comme le paraît-il claudélien Olivier Py dont je viens de jeter à la poubelle l'unique de ses livres en ma possession (Le Vase de parfums; certes, je conçois qu'un auto-dafé eût marqué davantage les esprits mais, par ces chaleurs, l'idée d'un brasier...), alors pourtant que l'un de mes lecteurs me l'avait chaudement recommandé... l'enchaînement paraît irréel, scintiller de cette étrange lueur de rêve qu'à mes yeux la littérature, l'art, est capable de conférer à la réalité la plus désespérément plate comme, ici, l'est la petite intelligence replète d'un administrateur heureusement congédié.
Bien sûr, la leçon à tirer de cette lamentable affaire s'ajoutant à celles qui naguère s'acharnèrent sur Maurice G. Dantec suspecté d'accointances avec le Bloc Identitaire ou considérèrent utile de clouer au pilori Renaud Camus qualifié d'antisémite caractérisé, bien sûr donc, la leçon est simple. Empruntons quelques mots sous la plume de Matthieu Baumier dans ce qui est sans nul doute l'un des meilleurs articles consacré à la défense de Peter Handke (paru dans Le Figaro du 18 mai 2006) : «La France intellectuelle moisie est une habituée de la censure et du délit d'opinion brandis à l'encontre de toute pensée n'allant pas dans le sens de l'opinion commune, du moins de celle de quelques quartiers de Paris.» La charge est féroce mais elle me semble demeurer à la surface des choses. Pour ma part, je veux croire qu'une dimension abyssale peut encore être convoquée à propos de la stupide interdiction signifiée par Bozonnet, par tous les petits Tribulat Bozonnet de la terre : la littérature est le puits sans fond où quelque devin pourrait décidément lire l'histoire pathétique de la France devenue terre d'asile de tous les pleutres et refuge puant où les hyènes entonnent de concert leur ricanement hideux, s'il avait l'envie de se pencher au-dessus du gouffre hurlant. Mais... quel courageux désigner qui se ferait le puisatier de toute cette merde contente de se renifler ? Comment forer une telle épaisseur de crasse séculaire, la dure carapace des bien-pensants ? Et quel alchimiste enfin assez fou pour convertir cette immense marne de boue morale en quelque unique pépite d'or ?

Note
(1) : comme il faut désormais l'écrire par ces temps d'universelle judiciarisation. Je reviendrai sur ce point à propos des menaces judiciaires proprement scandaleuses pesant sur le dernier ouvrage de Sarah Vajda, une biographie romancée de Claire Chazal publiée par Jacques-Marie Laffont et Pharos. Quelques mots tout de même : Claire Chazal, exerçant la très noble profession de présentatrice (ne me demandez pas en quoi consiste ce métier, je serais incapable de vous le dire) et Philippe Torreton, grand poète comme nous l'apprenons avec stupéfaction, s'estimant tous deux gravement insultés par l'ouvrage de Sarah Vajda, réclament à l'éditeur ni plus ni moins, respectivement, que 80 000 et 40 000 euros, qu'ils reverseront sans doute à quelque fonds de pension des métiers courageux du journalisme à moins que, plus prosaïquement, ils ne décident de plier bagages pour s'envoler vers quelque palais des Bahamas. Ils demandent ensuite que soit interdite la commercialisation du livre de Sarah, sous astreinte de 800 euros par infraction constatée, dire et juger que les frais d'huissier seront supportés par l'éditeur, faire défense, ordonner, condamner, dire et juger encore une fois, déclarer, etc.