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18/03/2010

Dracula 6 : Le cauchemar de Dracula de Terence Fisher, par Francis Moury


Résumé du scénario
Le 3 mai 1885, en Europe centrale : Jonathan Harker, jeune londonien fiancé de Lucy Holmwood, note dans son journal qu’il arrive enfin en vue du château de Dracula - dominé par un aigle de pierre - où il est attendu en tant que bibliothécaire. Il parcourt les derniers kilomètres à pied, son cocher ayant refusé de s’en approcher. Il remarque que les oiseaux n’y chantent pas alentour et qu’un torrent glacé l’isole des montagnes voisines. Une lettre posée sur la table de sa salle d’armes lui demande d’excuser l’absence du comte et de bien vouloir dîner seul. Plus tard dans la soirée, une jeune femme inconnue et terrorisée, se prétendant retenue prisonnière par Dracula, lui demande de l’aider à s’enfuir : elle s’éclipse au moment où Dracula apparaît enfin pour accueillir son invité…

Fiche technique succincte
Mise en scène : Terence Fisher / Prod. : Anthony Hinds & Anthony Nelson-Keys (Hammer Film) / Prod. Executive : Michael Carreras / Distribution numérique française en DVD : Warner / Scénario : Jimmy Sangster d’après le roman de Bram Stoker / Directeur de la photo : Jack Asher (B.S.C.) écran large Technicolor / Montage : Bill Lenny supervisé par James Needs / Mus. : James Bernard (dirigée par John Hollingsworth) / Décors : Bernard Robinson / Eff. Spéciaux : Sidney Pearson / Maquillage : Phil Leaky / Costumes : Molly Arbuthnot

Casting succinct par ordre d’apparition à l’écran
Christopher Lee (Dracula), Valérie Gaunt (la vampire du château), John Van Eyssen (Jonathan Harker), Peter Cushing (Dr. Van Helsing), George Woodbridge (aubergiste), Barbara Archer (Inga), Michael Gough (Arthur Holmwood), Melissa Stribling (Mina Holmwood), Olga Dickie (Gerda), Carol Marsh (Lucy Holmwood), Janine Faye (petite enfant Tania), Miles Malleson (entrepreneur de pompes funèbres), George Benson, Charles Lloyd Pack (Dr. Seward), etc.

Critique
PDVD_007.jpg«[…] La petite-fille de Bram Stoker est venue me voir sur le plateau pendant le tournage et a eu la bonté de m’assurer que mon interprétation était excellente et qu’elle était sûre que son grand-père l’aurait appréciée. Bien sûr, il y avait, dans le scénario, une grande différence avec le roman, mais j’ai toujours essayé de mettre en évidence la solitude du Mal et particulièrement de bien montrer que, quelque terrible que puissent être les actions du comte Dracula, il était possédé par une force occulte qui échappait entièrement à son contrôle. C’est le Démon le tenant en son pouvoir, qui l’obligeait à commettre ces crimes horribles, car il avait pris possession de son corps depuis des temps immémoriaux. Cependant, son âme, qui subsistait sous l’enveloppe charnelle, était immortelle et ne pouvait être détruite d’aucune façon. Tout ceci pour expliquer la grande tristesse que j’ai essayée de mettre dans mon interprétation. […]»
Christopher Lee, lettre à la revue Midi-Minuit fantastique n°s 4-5 (éditions Le Terrain vague, janvier 1963, pp. 161-162).

Le cauchemar de Dracula [Dracula / Horror of Dracula] (Grande-Bretagne, 1958) de Terence Fisher est le premier des trois films que Fisher consacra au vampirisme, et historiquement le plus important des trois. Le scénario écrit par Jimmy Sangster est à la fois plus proche et plus éloigné du roman de Stoker que ceux des versions cinématographiques antérieures. Fisher avait écrit à Tony Faivre en avril 1963 une lettre dans laquelle il lui précisait avoir voulu serrer de plus près que ses prédécesseurs le roman initial. Christopher Lee – que ce rôle rendit aussi célèbre que Bela Lugosi : l’année précédente, Lee avait tenu le rôle de la créature dans The Curse of Frankenstein [Frankenstein s’est échappé] de Fisher avec Peter Cushing dans le rôle de Frankenstein – partageait comme on le sait cette conception puisqu’il indiquait dans une lettre à Midi-Minuit Fantastique (loc. cit.), qu’il avait lu maintes et maintes fois le roman de Stoker mais regrettait que certains épisodes (Harker et les loups, Harker et le miroir, le bateau de Dracula voguant vers l’Angleterre) n’aient pu être intégrés. Il aurait pu ajouter l’absence du personnage de Renfield (réintroduit d’une manière originale, et sous un autre nom, dans le troisième Dracula de Fisher : Dracula prince des ténèbres, 1965) et l’idée originale que Harker sait déjà que Dracula est un vampire, qu’il vient en son château dans le but d’abord caché puis avoué de le tuer car il est un correspondant de Van Helsing ! Fisher a l’intelligence de ne pas le faire savoir d’emblée au spectateur tant l’innovation de ce surcroît de conscience et de savoir est importante. Ce qui n’empêche pas Faivre de considérer, dans sa remarquable introduction à la traduction française de la version intégrale du roman Dracula de Bram Stoker (Éditions Gérard, Bibliothèque Marabout, série fantastique, Verviers, 1963) que c’est à cause de cette fidélité supérieure au roman que Le cauchemar de Dracula a davantage de succès public que Les Maîtresses de Dracula tourné par Fisher en 1960.
Plastiquement, il faut bien considérer le génie de la mise en scène de Fisher : elle organise durant tout le film une terreur sournoise qui repose sur l’organisation de l’espace comme sur celle du temps du récit. Dès le générique d’ouverture, la description du château impressionne par sa construction sophistiquée, précise et inquiétante : on tourne autour des donjons, des remparts, on traverse un pont, et la caméra s’approche d’un escalier dissimulé, donnant sur une cave… où se cache le cercueil sur lequel vient, en gros plan, se fixer le nom Dracula, au-dessus duquel tombent alors des gouttes de sang toujours plus nombreuses : mi-réaliste, mi-symbolique. Cette étrange poésie dialectique correspond à la photographie de Asher : la couleur y augmente le réalisme dans les scènes d’extérieurs mais elle est souvent traitée de manière baroque dans les scènes d’intérieurs : la chambre de Harker, la bibliothèque de Dracula, la chambre londonienne de Lucy, les caveaux soigneusement décorés par Bernard Robinson. Le spectaculaire et la suggestion, la litote et l’ellipse, l’allusion et la monstration alternent avec une virtuosité et un art consommé qui finissent par devenir obsédant. La musique paroxystique, pléonastique, de James Bernard va dans le même sens. Le titre d’exploitation français comme le titre d’exportation international anglais l’exprimaient ostensiblement : un cauchemar. Cauchemar de Dracula dans lequel tout est possible : la résurgence issue de la mentalité primitive du sang comme facteur de puissance, source ambivalente de vie et de mort, le vertige d’un érotisme interdit et de rites anciens mais encore actifs. Les modalités phénoménologiques du sacré de respect, décrites par Caillois et tant d’autres, sont ici convoquées. Personne n’est plus à l’abri : Harker qui croyait pouvoir venir à bout du monstre, en devient la victime ; une enfant est même, à un moment, menacée de le devenir ! Certes, James Whale avait déjà montré une enfant tuée par la créature de Frankenstein en 1931 mais c’était une sorte d’accident. Ici il n’y pas d’accident, ni d’optimisme rousseauiste sous-jacent. Le vampire est une créature du Diable qui nie l’humanité… et dont la devise pourrait être mors illorum, vita nostra.
L’emploi de l’écran large et de la couleur, la modernité des trucages à la brutalité très impressionnante et d’une qualité technique supérieure à tout ce qui avait précédé, ajoutèrent à l’effet obtenu. Alain Le Bris disserta filmologiquement sur Une constante fishérienne : le sang et Michel Caen sur la Psychopathologia Sexualis (1) dans l’œuvre de Terence Fisher (in Midi-Minuit Fantastique n°1 spécial Terence Fisher, mai-juin 1962) car le sang, filmé par Fisher, était en effet un sang nouveau, si on ose dire, que l’on n’avait jamais vu dispensé avec une telle crudité et une telle cruauté, et un sang auquel la couleur conférait une terrible présence. La critique française généraliste fut pourtant, d’une manière générale, révulsée, très hostile au film. René Prédal, dans sa remarquable monographie sur Terence Fisher (in Anthologie du cinéma, tome 11, 1983) puis Nicolas Stanzick (Dans les griffes de la Hammer – La France livrée au cinéma d’épouvante (1957-2007, Scali, 2008) ont rendu compte d’une manière détaillée et très complémentaire de l’histoire critique française des films de Fisher. Elle oscilla, de 1957 [date de son premier film fantastique adapté sous licence Universal pour la Hammer : The Curse of Frankenstein] à 1973 [date de son ultime, l’épure désespérée qu’est Frankenstein et le monstre de l’Enfer] entre fascination et répulsion, mépris et sarcasme. Un long travail critique initié par une élite vers 1960 aboutit vers 2010 à sa reconnaissance au moins universitaire et cinéphilique. Mais il faut bien mesurer que Fisher, qui avait redonné une vie anglaise nouvelle à tout le cycle fantastique et à tous les personnages mythiques de la Universal américaine de 1931-1945, mourut en 1980 dans l’indifférence la plus totale, la même année que les cinéastes Mario Bava et… Alfred Hitchcock. C’est quelques années avant 2010, soit presque trente ans après sa mort, que la Cinémathèque française (2) lui rendit enfin un hommage officiel sous la forme d’une rétrospective générale de son œuvre pré-fantastique comme fantastique qui s’ouvrit non pas par Le cauchemar de Dracula mais par… Les maîtresses de Dracula que nous considérons pour notre part comme certainement plus novateur et plus impressionnant encore.

Notes
(1) Ce titre latinisant était naturellement inspiré par R. v. Krafft-Ebing, Psychopathia Sexualis, étude médico-légale à l’usage des médecins et des juristes, parue en Allemagne pour la première fois en 1869 puis en 16e et 17e éditions refondues par le Dr. Albert Moll, trad. française par René Lobstein, préface du Dr. Pierre Janet (Éditions Payot, Bibliothèque médicale, 1931).
(2) Cinémathèque qui programmait ses films mais très irrégulièrement : nous avons relaté dans nos souvenirs des cinémas parisiens – parus initialement dans Les Temps modernes n° 617, puis sur www.cinéastes.net mais dont la version la plus à jour pour l’instant se trouve ici : http://herbertmathese.free.fr/images/divers/souvenirs-de-Cinemas-parisiens.pdf comment Dracula prince des Ténèbres annoncé dans son programme, avait été cavalièrement remplacé au pied levé, dans les années 1980-1985, par son plus rare mais non moins passionnant Les Étrangleurs de Bombay (1959).