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« Dracula, 4 : La maison de Dracula d’Erle C. Kenton, par Francis Moury | Page d'accueil | 2666 by Roberto Bolaño »

11/03/2010

Dracula, 5 : Les proies du vampire de Fernando Méndez, par Francis Moury


Résumé du scénario
Mexique, 1957 : Eloisa, la belle et hautaine maîtresses d’une hacienda de la Sierra Negra, région autrefois riche et luxuriante mais aujourd’hui ruinée et désolée, est attaquée par une chauve-souris : en fait, un vampire. On annonce la mort de sa sœur, Maria Teresa, probablement morte de peur. Lorsque sa nièce Marta revient pour son enterrement, elle rencontre Enrique, un médecin qui tombe amoureux d’elle. Tous deux comprennent que Marta pourrait être la prochaine victime d’un complot organisé par Eloïsa et son nouveau voisin, un noble revenu s’installer sur des terres abandonnées autrefois par sa famille.

Fiche technique
Mise en scène : Fernando Méndez
Production : Abel Salazar / Cinematografica ABSA
Production extérieure : Fernando Méndez
Directeur de la photographie. : Rosalio Solano
Opérateur : Hugo Velasco
Scénariste : Ramon Obon
Musique : Enrique Rodriguez et Gustavo C. Carrion

Casting principal
Enrique : Abel Salazar,
Comte Lavud / Duval : German Robles,
Marta : Ariadna Welter
Eloisa : Carmen Montejo
Maria Teresa : Alicia Montoya
Et July Danery, Mercedes Soler, Lydia Mellon, Jose Luis Simenez, Joseph Chavez, etc.

Critique
GetAttachment-4.jpgDeux films de Méndez – en tout et pour tout – parvinrent historiquement à franchir la frontière française : Ladron de cadaveres [Le Monstre sans visage] (Mexique, 1955) et El Vampiro [Les Proies du vampire], Mexique, 1957), ce dernier sortit à Paris le 28 octobre 1959 . Deux œuvres qui suffisent à conserver précieusement son nom dans toutes les histoires du cinéma fantastique écrites dans notre langue depuis les années 1970. Mais en fait Méndez avait œuvré dans la plupart des genres populaires du cinéma mexicain. Et on relève dans sa filmographie, dès 1943, un Los Cadaveres del Terror. Sans oublier El Ataud del vampiro [Le Retour du vampire] (Mexique, 1957), la suite de El Vampiro avec quatre de ses acteurs principaux et quelques autres titres fantastiques dont Mysterios de Ultratumba (Mexique, 1959) et El Grito de la muerte (Mexique, 1963). Méndez demeure – nous en avons à présent confirmation sans équivoque en comparant ses œuvres avec celles d’un Rafael Baledon, d’un Alfonso Corona Blake et d’un Chano Urueta (également rééditées par Bach films) – le plus grand cinéaste mexicain du genre.
Car ce grand classique du cinéma fantastique que sont Les Proies du vampire demeure aussi puissant, impressionnant et finalement secret qu’à sa première vision. Est-ce à cause de la beauté intangible de l’actrice d’origine cubaine Carmen Montejo, une des plus belles femmes vampires jamais vues sur un écran ? Est-ce en raison d’un scénario machiavélique qui met en jeu les ressorts de l’inceste et de l’homosexualité (*) avec une virulence et une âpreté toutes freudiennes ? Ou bien, tout simplement, du fait de la beauté plastique constante de la mise en scène dont la rigueur évoque Fritz Lang et Tod Browning autant qu’elle annonce Terence Fisher et parfois Jean Rollin ?
GetAttachment-3.jpgUn exemple de cette rigueur : la première apparition d’Eloisa (devenue secrètement vampire) aux yeux de sa famille. Elle se trouve en haut d’un escalier qu’elle descend naturellement pour recevoir sa nièce et l’homme qui l’accompagne. Comment ne pas songer à la première apparition de Christopher Lee, un an plus tard, dans Dracula [Horror of Dracula / Le Cauchemar de Dracula] (G.-B., 1958) de Terence Fisher dont ce dernier était si fier ? La réflexion sur la dialectique apparence/réalité se traduit par un plan semblable et tout aussi efficace dramatiquement. Impossible aussi de ne pas constater que Lavud, quelques minutes plus tard, monte un escalier qui le mène vers la surface, avec la même attitude hautaine. Marta est ainsi prise en tenaille entre ses deux bourreaux et plus aucune partie de l’espace ne lui est hospitalière : ni la surface ni le sous-sol de l’hacienda. Autre idée géniale : celle de l’autre tante décédée, Maria Teresa (qui n’est en réalité pas morte mais fait semblant de l’être afin de mieux se protéger contre sa sœur vampire et celui qui la domine) qui apparaît pour la première fois tel un fantôme pour, non pas agresser comme on le croit d’abord, mais protéger Marta pendant son sommeil. Admirable instauration d’une ambivalence génératrice d’une angoisse totale. On ne peut s’empêcher de penser à ce que fera Corman dans la série Edgar Poe dès The Fall of the House of Usher [La Chute de la maison Usher] (É.-U., 1960) et aussi dans Pit and the Pendulum [La Chambre des tortures] (É.-U., 1961). Enfin le comte Lavud / Duval joue des apparences contre tous, y compris sa proie : son objet est principalement de ressusciter son frère, mort 100 ans plutôt et de restaurer le pouvoir féodal qu’ils avaient sur la région, se nourrissant littéralement de ses terres autant que de ses hommes. C’est bien le seul désir qu’il manifeste par le dialogue : il est bien un animal tyrannique et pas du tout un amant, en dépit de son apparence de Dom Juan. Il vampirise d’ailleurs indifféremment une femme ou l’enfant d’un « peon », en une séquence hallucinante de froideur et de cruauté qui confine à l’onirisme cauchemardesque le plus étonnant. Nul érotisme sous-jacent en dépit de sa prestance plastique. De même que les deux sœurs sont restées célibataires car trop attachées à leur terre, de même Lavud revient sur la sienne : le vampire mexicain est conforme au mythe européen en tout point mais aussi, sans doute, à l’histoire économique de la petite propriété dans le Mexique rural de l’époque. Et c’est sans doute aussi cet aspect terrien qui acclimata si bien une mythologie pourtant hétérogène au Mexique.
GetAttachment-2.jpgNotons que l’intrigue du scénario de La Maschera del demonio [Le Masque du démon] (Italie, 1960) de Mario Bava , tout comme celle du Méndez, reposera aussi sur un jeu des apparences entre deux « sœurs », l’une morte et l’autre vivante, l’une tentant de prendre la place de l’autre au côté du père qui meurt de cette tentative après l’avoir désavouée. Face à ce réseau de relations pathologiques, la normalité repose sur le couple Marta et Enrique mais surtout sur une rupture inattendue : c’est parce qu’une des sœurs se retourne contre l’autre que le rapport de force est rompu en faveur du bien. Le personnage de Maria Teresa est tout à fait étonnant : même Bunuel n’a pas eu cette force plastique qui envahit chacune des séquences où elle apparaît, telle un Christ féminisé, souffrante et compatissante mais pourtant inquiétante : les plans évoquent autant la Universal de l’âge d’or des années 1931-1939 que la peinture baroque et religieuse espagnole la plus classique. Méndez adopte un parti pris équivalent à celui adopté par Browning dans son Dracula (É.-U., 1931) comme on l’a souvent fait remarquer : il présente son vampire dès le début comme un vampire, sans aucune ambiguïté. Ce qui l’intéresse, c’est de découvrir sous chaque palier dramatique, un nouveau palier sous-jacent : le film est une décompression constante qui nous fait passer de l’un à l’autre. Les mouvements doux et enveloppant de la caméra de Rosalio Solano, rompus par quelques plans à l’expressionnisme outré, quelques trucages à la naïveté abrupte mais magnifique car aussi purs qu’à l’époque du cinéma muet, composent une «symphonie de l’horreur» qu’un Murnau n’aurait pas désavouée et qui envoûte autant qu’elle angoisse. Elle permet de laisser surgir une violence ouvertement baroque en de brefs plans frappés de démence par leur violence sauvage : on pourrait parler de la veine authentiquement «primitive» de Méndez.
Les Proies du vampire, outre ses qualités intrinsèques qui placent Méndez au rang de cinéaste majeur, est historiquement important comme étape unique, carrefour incontournable – tel celui de cette forêt de studio admirablement éclairée auquel finissent par arriver le couple de voyageurs au début du film (couple voulu contemporains des spectateurs de l’époque) – entre l’acquis des années 1920, 1931-39, 1940-1945 et la modernité naissante de la Hammer Films d’une part et de l’American International Pictures et du cinéma fantastique italien de l’autre, voire même de notre Jean Rollin national qui non seulement le tenait en haute estime mais encore s’est peut-être inspiré de la séquence du livre qui tombe tout seul pour l’amplifier dans son propre Le Frisson des vampires (France, 1970). Pour toutes ces raisons, et aussi pour l’interprétation surprenante de Robles, pour le plaisir brut surtout que procure chacune de ses visions, il faut apprécier cette résurrection du film à sa juste valeur, à savoir la restauration d’une œuvre-clé du cinéma fantastique.

(*) Lavud / Duval dit explicitement à ses sbires que sa tentative de reprise en main de la région a pour but la résurrection de son propre frère et qu’il compte régner avec lui : cette déclaration est symboliquement frappée d’une connotation incestueuse, homosexuelle et nécrophilique tout à la fois. Lavud méprise toutes les créatures humaines – vampirisées ou non – qu’il envisage uniquement comme proies inférieures. Seul son propre sang – sang désormais inhumain – trouve grâce à ses yeux : narcissisme forcené, qui fonda aussi, de toute évidence, l’emprise économique et sociale de son clan au temps de l’aristocratie terrienne. Parmi les armoiries qui composent son blason, on distingue nettement une chauve-souris.