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03/05/2005

Ellipses de la mémoire

Crédits photographiques : NASA, ESA and K. Cook, Lawrence Livermore National Laboratory, USA.

Je viens de relire, étant d'humeur mélancolique ces derniers jours, quelques-uns de mes premiers billets sur le Stalker, comme celui-ci, daté du 3 mars 2004, le deuxième donc, après le tout premier, que je rappelle ici :

Lecture de quelques ouvrages dits de synthèse sur la question de l'Islam, par exemple celui d'Encel intitulé Géopolitique de l'apocalypse. De celle-ci, il sera finalement bien peu question (en tout cas dans son aspect métaphysique) même si l'auteur, très utilement, rappelle la honteuse collusion dans notre belle République entre les intérêts ultra-gauchistes, voire gauchistes (j'inverse la précellence dans la bêtise) et l'islamisme radical. Noté ce passage aussi : «Il n’est de meilleur moyen pour mal comprendre un phénomène que de mal le nommer.» Bloy n'eut pas mieux écrit, ni même Bernanos, ni même Boutang, ni même Kraus ou, tout simplement, n'importe quel élève de Terminale conscient, à la différence de nombre de journalistes, qu'il manie en écrivant autre chose qu'un miroir pour imbéciles ou une affichette vantant les mérites de telle mauvaise viande...
Tenter de bien nommer les choses, et d'abord les livres qui sont des êtres ou, comme Georges Blin l'affirme dans sa remarquable Cribleuse de blé, des figures, voilà le but parfaitement immodeste que je me suis assigné dans ces brèves et irrévérencieuses chroniques de lecture.

Combien de fois ai-je lu cette nouvelle de Joseph Conrad, sans doute l'un de ses chefs-d’œuvre avec le colossal Nostromo ? En tout cas je n'en épuise pas les délices, la complexité ou, pour le dire avec le prétentieux Jean Bessière, l'énigmaticité, de même que, sans cesse, je relis Monsieur Ouine de Bernanos et Macbeth de Shakespeare.
Je recopie la critique que j'avais postée sur le site d'Amazon.fr, assez synthétique il me semble.
«Avec cette longue nouvelle, Joseph Conrad ouvre – ou plutôt entr'ouvre, parce que l'horreur ne se révèle jamais qu'à moitié – la porte que notre siècle n'est pas près de refermer : l'ignoble fascination d'une âme entièrement vouée au Mal, qui pourtant ne peut s'empêcher d'éprouver de déchirants remords. Kurtz est un aventurier surdoué, produit idoine de l'Occident qui s'est aventuré dans les profondeurs de la jungle congolaise jusqu'à soumettre une tribu par le seul pouvoir de son éloquence fastueuse et maléfique. Francis Ford Coppola s'est bien évidemment inspiré de la trame de cette oeuvre pour son superbe Apocalypse Now, qui toutefois ne conserve pas la surprenante ambiguïté de l'aventure de Marlow et de Kurtz. Coppola mais aussi, de façon plus souterraine et influente pour notre âge, T. S. Eliot dans ses Hommes creux (Hollow Men) : «We are the hollow men / We are the stuffed men...», ce sont les mots du poète que cite Marlon Brando. Ces mêmes hommes creux, ennuyés, rassasiés par le spectacle de l'horreur, bavards comme l'intarissable Kurtz de Conrad ou le mystérieux monsieur Ouine de Bernanos, reflètent la monstrueuse faconde d'un Hitler et symbolisent admirablement le vacillement et le déracinement spirituels d'une Modernité bavarde et sans âme, prête à suivre les maîtres chanteurs d'une parole devenue folle. Cœur des ténèbres est la parabole d'un âge du monde où l'homme est désormais totalement seul face aux visages grimaçants qui peuplent les cauchemars de Goya, où il est totalement vulnérable aux voix envoûtantes venues des plus profondes ténèbres.»

Je constate avec un certain plaisir qu'une ligne, non pas de crête mais, si l'on veut, de faille, m'anime depuis plus d'une année à présent : étude du Mal dans ses liens consubstantiels avec la littérature et, consécutivement, souci de la langue, aujourd'hui émasculée, violée par d'innombrables hongres faisant profession d'écriture. Non que je sois particulièrement fier de cette constance, que je ne puis d'ailleurs séparer, aussi loin que je me souviens de mes premières fascinations, de ce que je suis, de ce que j'ai toujours été. Simplement, il est sans doute plus difficile, avec ce type de média nerveux (comme on dit d'une belle voiture qu'elle est nerveuse) qu'est le blog, de demeurer constant, fidèle, en un mot : sincère.