Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Qui est le stalker ? | Page d'accueil | La revue Cancer ! est-elle immortelle ? »

01/04/2004

Fin de partie : TOUT VA BIEN

Crédits photographiques : Jeff J Mitchell (Getty Images).

Il y a quelque chose de fascinant dans le dernier texte de Maurice G. Dantec, Tout va bien, de fascinant et de morbide, de fascinant parce que le travaille une pulsion de mort, qui affecte la parole elle-même qui n’en finit pas d’ânonner dans les ténèbres, comme si, en fait, le Bartleby (et sa célèbre formule deleuzienne) de Melville s’était réfugié dans le souterrain puant de Dostoïevski, d’où il répéterait sans relâche quelques vérités que plus personne ne veut entendre, encore moins écouter.
Cette pulsion est en fait une lézarde, comme celle qui fissure très lentement la maison Usher du conte. Cette pulsion de mort à l’œuvre dans ce texte spectral est celle-là même qui, selon Dantec, mine la cohérence des fondations occidentales, que l’écrivain n’a pas peur de nommer : non pas une quelconque force entropique ni même une dommageable halte dans la course effrénée de l’Occidental vers le Bonheur que, tout simplement, tout banalement, le démon.
Est-ce dire que Dantec, lui aussi, à son tour, est devenu une espèce de victime banale du cercle mimétique popularisé par Girard, que son sang a été intoxiqué par le poison qu’il n’avait de cesse de combattre ou que, tout simplement selon l’imbécile Pierre Marcelle, celui-ci a fondu les plombs ? Non, l’explication serait courte, ridicule et, de plus, fausse. Je crois que la situation est beaucoup plus grave et, pardonnez-moi, qu’en effet : TOUT VA MAL. En fait, Dantec, lentement, sous nos yeux, est en train de devenir une sorte de Maître du haut-château dickien, soit un homme de courage, un écrivain de vision (pourquoi hésiter à lui apposer l’épithète de voyant ?) qui, sous les décombres, ou plutôt dans les catacombes, profère la vérité, envers et contre tous, tente de dégonfler le prestige (les pompes, disaient les Anciens) du simulacre, l’enflure de l’idole qui nous gouverne, la Peur.
En lisant ce texte halluciné de Dantec, j’ai immédiatement pensé au deuxième roman d’Ernesto Sabato, Héros et Tombes, qui décrit la plongée d’un explorateur ambigu, F. Vidal Olmos (lui-même se décrit comme un homme mauvais), dans le monde souterrain bâti durant des siècles par la mystérieuse et maléfique Secte des Aveugles, l’immersion définitive dans la réalité véritable, contre-cité diabolique qui, sous la terre, gouverne nos destinées de souriceaux.
Nul doute que Dantec, à son tour, s’est élancé dans le puits sans fond de Babel, moins par goût du suicide (il ne m’appartient certes pas de faire remarquer ce que cette plongée peut avoir de mauvaise ivresse…) ou même, comme je l’écrivais à propos de tout véritable romancier (singulièrement de Dantec avec Villa Vortex), pour sauver ce qui peut l’être encore des ténèbres, que parce qu’il est tombé dans la main de Dieu, dans laquelle il est périlleux, si l’on se veut gardien du Verbe (tropisme d’ailleurs moins heideggerien que chrétien), de tomber…
De cette chute seulement naîtra ou plutôt renaîtra l’écriture de Dantec qui, je me risque à faire un mauvais jeu de mot, sera aussi une écritude, une solitude totale. C’est à ce prix seulement, à vrai dire terrible, que Dantec pourra conquérir sa langue et, surtout (dans le même mouvement de conquête) ouvrira nos yeux et déliera nos langues.